Marcel Aubut
Le «Kid de la Grande-Allée» sauve les Nordiques de la mort une première fois en 1979. Seize ans plus tard, il approuvera la vente de l'équipe.

L’histoire de Marcel Aubut est étonnante. À 25 ans, le jeune diplômé en droit de l'Université Laval affronte en cour civile Jean Lesage, le père de la Révolution tranquille. Aubut gagne sa cause, mais aussi un ami: Lesage sent qu'il a trouvé la perle rare, un bourreau de travail infatigable capable de rendre de précieux services aux Nordiques de Québec, auxquels il est associé. D'abord conseiller juridique puis trésorier de l'équipe, l'avocat né à Saint-Hubert (comté de Rivière-du-Loup) le 5 janvier 1948 éclipse tous ses concurrents et devient le président des Nordiques le 15 juin 1978, à l'âge de 30 ans.

Dès sa première saison en poste, Aubut obtient les appuis requis pour l’agrandissement du Colisée et permet aux Nordiques de faire leur entrée dans la LNH. Le «fils spirituel de Jean Lesage» est catégorique: «Je ne quitterai pas, et ça je le jure, avant que les Nordiques aient gagné la coupe Stanley1». L'année suivante, il épate toute la ligue en allant chercher les frères Peter et Anton Stastny. En 1984, il prend une douce revanche sur la brasserie Molson en mettant sur pied un nouveau réseau de télédiffusion des matches de la LNH. Puis, en 1987, c'est le triomphe avec Rendez-Vous 87, un événement grandiose qui lui vaut le titre d'administrateur de l'année dans la LNH par l'hebdomadaire Hockey News.

Habitué à déplacer les montagnes, le «Kid de la Grande-Allée» n'est jamais à court de projets. Pour la LNH, il préconise la période supplémentaire en saison régulière, les reprises vidéo et la fusillade. Pour la ville de Québec, il milite pour l'obtention des Jeux olympiques d'hiver dès 1984 et pense même un moment à implanter une concession de la United States Football League (USFL) dans la Vieille Capitale, avec un nouveau stade de 50 000 places! Décoré de l'Ordre du Canada en 1986 et membre du conseil d'administration d'entreprises aussi prestigieuses que La Laurentienne et Hydro-Québec, Aubut est pressenti pour faire une belle carrière en politique. En 1992, on le voit même futur président de la LNH.

À l'automne de 1988, Aubut orchestre le rachat des Nordiques par un consortium d'entreprises québécoises. Maintenant président et actionnaire de l'équipe, il triomphe: son succès est complet. Trop complet au goût de certains. On commence à se méfier de ce personnage ambitieux, qui lance quelques mois plus tard une campagne pour la construction d'un nouveau Colisée à Québec. La communauté est divisée sur la marche à suivre et les deux «hommes forts» de Québec, Aubut et le maire Jean-Paul L'Allier, s'entre-déchirent sur la place publique. À l’orée de la saison 1994-95, le renouvellement du bail des Nordiques au Colisée se règle à la toute dernière minute.

Le conte de fées et les espoirs de coupe Stanley pour Québec prennent fin en 1995. Réaliste, Aubut a fini par considérer qu’il était impossible de garder les Nordiques à Québec. Le gouvernement Parizeau a beau lui offrir de racheter ses actions et d’attendre deux ou trois ans avant de prendre une nouvelle décision, Aubut préfère l'offre du groupe Comsat Video. La réaction du public québécois est brutale: Aubut est accusé de trahison et d'avoir profité de l'occasion pour se remplir les poches. Le président de l'Avalanche du Colorado, Charlie Lyons, assure au contraire que le président des Nordiques a été pris de remords au moment de signer l'entente. «Il levait le stylo comme si celui-ci pesait 700 livres. Cette équipe, c’était sa vie. La réunion de notre conseil d’administration était prévue à 16 heures. À 18 heures, il n’avait pas encore mis son nom sur le document2». Marcel Aubut, le sauveur attitré des Nordiques, ne voulait pas se séparer du club qu'il aimait tant. Mais Marcel Aubut, l'homme d'affaires, ne pouvait pas refuser l'offre mirobolante de Comsat.

Notes de référence
1. Le Soleil, 20 juin 1979, p. C2.
2. La Presse, 7 juin 1996, p. S5.


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