Saison 1979-1980
Les Nordiques font face à un nouveau défi de taille: bâtir une équipe et une organisation capables de rivaliser avec les meilleurs clubs de la LNH.

Avant de faire leurs preuves sur les patinoires de la LNH, les quatre survivants du circuit maudit doivent passer par un processus complexe de repêchage. Une sorte de «taxe de bienvenue» qui permet aux 17 clubs de la LNH de récupérer certains de leurs transfuges tout en se débarrassant de quelques «jambons». Les clubs du grand circuit réclament un total de 43 déserteurs, dont cinq joueurs des Nordiques: Paul Baxter, Christian Bordeleau, Alain Côté, Danny Geoffrion et Garry Larivière. Comme seule défense, les quatre clubs de l'AMH peuvent protéger… deux joueurs et deux gardiens de but.

Contre toute attente, les Nordiques protègent Richard Brodeur, Paul Baxter et Garry Larivière, au grand dam des Penguins de Pittsburgh et des Islanders de New York qui voyaient déjà Baxter et Larivière dans leur formation! Pour garder leurs vedettes consacrées qui appartiennent à des clubs de la LNH, soit Tardif, Cloutier et Bernier, les Fleurdelisés ont préféré conclure des ententes secrètes avec Montréal, Chicago et Los Angeles. Cette manœuvre audacieuse permet aux Nordiques de garder intact leur noyau de joueurs, mais leur coûte de précieux choix au repêchage. Ils verront ainsi leur premier choix de 1980, Denis Savard, passer aux Blackhawks.

La dernière étape de la fusion est un repêchage d'expansion où Québec, Edmonton, Winnipeg et Hartford doivent se partager les «restants» des 17 clubs de la LNH. Les Nordiques sélectionnent Dave Farrish, Gerry Hart, Ron Low, Pierre Plante, Blair Stewart, John Baby, John Smrke, Dave Parro, Ken Kuzyk, Roland Cloutier, Terry Martin, Jamie Masters, Hartland Monahan, Ron Andruff, Alain Côté et Lars Zetterstrom. À cette liste se rajoutent quelques rescapés des Stingers de Cincinnati et des Bulls de Birmingham, soit Robbie Ftorek, Michel Dion, Jamie Hislop et Paul Stewart. Ce dernier, rude bagarreur, passera à l'histoire en se battant avec Wally Weir pour le chandail numéro 2 des Nordiques et… en devenant arbitre dans la LNH une dizaine d'années plus tard.

Les quatre nouvelles équipes ne bénéficient d'aucun traitement de faveur au repêchage amateur de 1979 puisqu'elles sont reléguées au bas du tableau. Les Nordiques se retrouvent au vingtième rang, mais ils s'en sortent avec une excellente récolte qui comprend Michel Goulet, Dale Hunter, Anton Stastny et Pierre Lacroix. Ce sont probablement les meilleures sélections de l'histoire des Fleurdelisés, qui impressionnent les observateurs à leurs premiers pas dans le grand circuit. Avec un budget passé de quatre à sept millions, les Nordiques ne tenaient surtout pas à rater leur entrée dans la LNH.

Comment les quatre clubs issus de l'AMH vont-ils se débrouiller à leur première saison dans la LNH? À Québec, les amateurs ne rêvent pas en couleurs, mais ils s'attendent que les Nordiques accèdent aux séries à tout le moins. Contrairement aux Jets qui ont quasiment tout perdu dans le passage à la LNH, les Nordiques ont gardé presque tous leurs joueurs. La compétition s'annonce toutefois beaucoup plus forte que dans l'AMH à six clubs. Et la direction doit régler de petits problèmes contractuels dès le camp d’entraînement: Michel Goulet et Pierre Lacroix veulent obtenir des contrats en français, tandis que Marc Tardif fait la grève. Le grand numéro 8 finit par rentrer dans le rang avec une augmentation de salaire, mais il abandonne le poste de capitaine à Robbie Ftorek.

Le 10 octobre 1979, les Flames d'Atlanta sont les visiteurs au Colisée; c’est le premier match régulier des Nordiques dans la LNH. D'importantes cérémonies marquent l’événement. Le président de la LNH, John Ziegler, et le premier ministre du Québec, René Lévesque, sont présents. La formation partante des Nordiques se compose ainsi: devant le filet, Goran Hogosta; à la défense, Gerry Hart et Garry Larivière; à l'avant, Gilles Bilodeau, Richard Leduc et Pierre Plante. Bien secondés par leur gardien Daniel Bouchard, les Flames gâchent la soirée en prenant les devants par 4 à 0 après deux périodes, mais Réal Cloutier soulève la foule du Colisée en troisième en inscrivant un tour du chapeau. Malgré tout, Atlanta l’emporte par 5 à 3.

Le deuxième match des Fleurdelisés est également historique: c’est leur première visite au Forum de Montréal contre les Canadiens. Soixante ans après le dernier match entre Montréal et Québec (alors représentée par les Bulldogs), les deux villes rivales ont enfin la chance d'en découdre sur la glace. Certains joueurs du Tricolore n'hésitent pas à affirmer leur supériorité, notamment le coloré Gilles Lupien qui prédit un massacre de 10 ou 12 à 1. Les Fleurdelisés tiennent bon et s'en sortent avec une défaite honorable de 3 à 1. À leur troisième match le 18 octobre, ils remportent leur première victoire dans la LNH, un gain de 5 à 2 au Colorado contre les pauvres Rockies.

Dix jours plus tard, l'heure de la vengeance a sonné lorsque les Canadiens se présentent au Colisée. Les Nordiques parviennent à combler un déficit à deux reprises et causent une énorme surprise en battant le Tricolore par 5 à 4, une victoire inattendue qui sème l'hystérie dans l’amphithéâtre. Au moment de quitter les lieux une heure après la fin du match, l'arbitre Bruce Hood a la surprise de sa vie en voyant les trois quarts des spectateurs encore dans les estrades en train de danser et de chanter. Comme première victoire à domicile dans la LNH, c'est particulièrement réussi. Une rivalité épique vient de commencer...

La troupe de Jacques Demers continue de surprendre, complétant les 40 premiers matches du calendrier avec un fiche de .500 et le dixième rang au classement général. Avec un Michel Dion étincelant devant le filet et de solides performances de Réal Cloutier, Jamie Hislop et Dale Hoganson, les Nordiques se dirigent tout droit vers les séries de fin de saison. L'attention des médias se porte cependant sur la question des messages d'information au Colisée. Sous la pression du public, le club doit renoncer aux messages en anglais, au grand désarroi de la ligue. C’est une autre victoire des Nordiques contre la LNH, comme dans le dossier des contrats en français.

L'agrandissement du Colisée soulève encore plus de remous dans la Vieille Capitale. Au départ, c'est le projet BPR (Beaulieu, Poulin et Robitaille) qui s'impose avec ses 15 000 sièges et son balcon circulaire. Mais un projet plus imposant, celui de Désourdy, est présenté au public en octobre et suscite l'admiration: on parle de 18 815 sièges et 1500 places debout. Le concept est audacieux: on enlèverait les gradins actuels autour de la patinoire et on ferait pivoter celle-ci de 90 degrés, ce qui permettrait de construire davantage d’estrades de part et d’autre des grands côtés. Ce projet est aussitôt critiqué par les concurrents, qui invoquent la pente insuffisante et l'ampleur des travaux à accomplir dans un échéancier fort serré. Et comment remplira-t-on un aréna de 20 000 places à chaque match dans une petite ville comme Québec?

Le débat est vain puisque le maire Jean Pelletier est fermement décidé à soutenir le projet BPR. Soudain, c'est la panique. L'ingénieur de la toiture monocoque du Colisée, Rob Zabrowski, rentre de Chicago pour annoncer aux journalistes québécois une terrible nouvelle: avec ses ouvertures dans le toit de l'amphithéâtre, le projet BPR met en danger la toiture de l'édifice qui pourrait s'écrouler à n'importe quel moment. La société Lavalin entreprend de nouvelles études qui confirment, le 31 janvier 1980, que le projet BPR est tout à fait sécuritaire. Enfin, l'agrandissement du Colisée peut débuter. Et aux dernières nouvelles, le toit de l'amphithéâtre tient toujours le coup.

Pendant ce temps, sur la patinoire, les Nordiques connaissent une seconde moitié de saison lamentable. Le club qui luttait pour une fiche de .500 n'est même plus assuré d'atteindre les séries éliminatoires. Durement éprouvés par les blessures, les Fleurdelisés doivent se défendre à un certain moment sans les services de Réal Cloutier, Marc Tardif, Serge Bernier et Robbie Ftorek. On va quérir à la hâte Ron Chipperfield à Edmonton et Jacques Richard à Buffalo, mais l'attaque autrefois dévastatrice des Nordiques demeure anémique; Réal Cloutier est au ralenti et Marc Tardif a connu de meilleurs jours. Incapable de surmonter son handicap, le club québécois affiche le pire rendement de la ligue dans les 40 derniers matches. Et voilà que les dissensions internes réapparaissent entre les «vedettes» et les «plombiers»!

En pleine tourmente, l'entraîneur Jacques Demers assène un ultimatum à la direction: «Les Nordiques ne vont nulle part et n'iront nulle part si certains joueurs ne quittent pas les lieux. C'est mon devoir de le dire. C'est me respecter que de démissionner si les égoïstes et les losers ne quittent pas les lieux1». Cette déclaration-choc place Demers dans une position insoutenable. Se croyant directement visé par les propos de son entraîneur, Marc Tardif fait une violente colère dans l'avion qui ramène les Nordiques de Détroit. Complètement démoralisée, l'équipe termine la saison par une série de huit matches sans victoire et se retrouve au dix-neuvième rang du classement général avec 61 points. Heureusement, Edmonton et Hartford sauvent l'honneur de l'AMH en participant aux séries.

Comme le veut la tradition à Québec, c'est l'entraîneur qui écope pour cette fin de saison catastrophique: Jacques Demers se voit forcé de quitter son poste. Excellent motivateur, il aura plus de chance avec les Blues, les Red Wings et surtout les Canadiens. Mais pour l'instant, un grand ménage s'impose à Québec; c’est le coup de balai annoncé un an plus tôt, mais que l'on avait oublié d’effectuer dans la fébrilité de la fusion. Même s’ils ont changé de ligue et renouvelé une partie de leur personnel, les Nordiques sont restés en 1979-1980 l’équipe décevante qu’ils étaient la saison précédente dans l’AMH.

Notes de référence
1. Claude Larochelle, Les Nordiques: 10 ans de suspense, Sillery, Lotographie, 1982, p. 301.

Voir aussi
La bataille du Québec, 30 ans après
Profil: Les capitaines
Statistiques, saison 1979-1980
Sommaire: Premier match dans la LNH
Sommaire: Premier match Canadiens-Nordiques au Forum
Sommaire: Premier match Canadiens-Nordiques au Colisée
Cartes O-Pee-Chee/Topps, saison 1979-1980
Magazines, saison 1979-1980
Photo d'équipe, saison 1979-1980


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