La bataille du Québec, 30 ans après
Ce texte a été rédigé en octobre 2009 pour le bulletin annuel de la Société internationale de recherche sur le hockey (SIHR).

Si un sujet a retenu l’attention cet été au Québec, c’est bien le 250e anniversaire de la bataille des Plaines d’Abraham. Si la bataille de Québec soulève encore les passions, que dire de la bataille du Québec entre les Canadiens de Montréal et les Nordiques de Québec, qui fête cette année son 30e anniversaire? En effet, c’est en 1979 que les deux équipes s’affrontaient pour la première fois, à la suite de la fusion entre la Ligue nationale de hockey (LNH) et l’Association mondiale de hockey (AMH). On se souviendra que ces deux circuits s’étaient livrés une guerre sans merci durant sept années, tout comme la France et la Grande-Bretagne deux siècles plus tôt…

Il faudrait un livre entier pour résumer les 16 années de la rivalité féroce entre les deux équipes québécoises. C’est d’ailleurs ce que vient de faire Jean-François Chabot avec son ouvrage La grande rivalité Canadiens-Nordiques, publié par Les Éditeurs réunis. Si les grands moments de la rivalité comme la première série éliminatoire Canadiens-Nordiques en 1982, la bagarre du Vendredi saint en 1984 et le but refusé à Alain Côté en 1987 sont bien connus, il n’en est pas de même pour ses débuts il y a 30 ans. C’est pourquoi ce texte est consacré aux deux premiers affrontements entre les deux clubs, le samedi 13 octobre 1979 au Forum de Montréal et le dimanche 28 octobre 1979 au Colisée de Québec.

Le premier match

Une atmosphère particulière règne au Forum de Montréal en cette journée du 13 octobre 1979. Pour la première fois en près de 60 ans, une équipe de Québec rencontre un club de Montréal dans un match de la LNH. Pour la toute première fois, le chandail fleurdelisé des Nordiques côtoie la «sainte flanelle» tricolore sur une même patinoire. Le temple de la rue Sainte-Catherine n’a pas connu pareille sensation depuis le fameux premier match de la Série du siècle entre le Canada et l’Union soviétique, le 2 septembre 1972. Aussi, plusieurs observateurs vont jusqu’à qualifier cette première rencontre Canadiens-Nordiques de «partie du siècle»! Une expression qui fait sourire aujourd’hui, mais qui démontre à quel point ce match est attendu par les amateurs de hockey de partout au Québec.

Il faut se rappeler que ce match du 13 octobre 1979 met aux prises une équipe d’expansion, les Nordiques, au meilleur club de la LNH, les Canadiens, vainqueurs d’une quatrième coupe Stanley consécutive quelques mois plus tôt. À vrai dire, personne n’accorde la moindre chance aux Fleurdelisés de remporter ce premier duel. Trois jours auparavant, les Nordiques ont perdu leur premier match dans la LNH par la marque de 5-3 face aux Flames d’Atlanta, au Colisée. En guise de comparaison, les Canadiens ont battu les mêmes Flames 3-1 au Forum le lendemain. À la brasserie du coin, la question n’est donc pas de savoir si les Canadiens vont battre les Nordiques, mais bien par combien de buts!

Dans ces conditions, on aurait pu s’attendre à ce que les joueurs des Nordiques lancent les premières flèches à l’endroit de leurs adversaires. Étrangement, ce sont les joueurs des Canadiens qui tirent les premiers. Réjean Houle rappelle que le jeu dans la LNH est beaucoup plus rapide qu’il ne l’était dans l’AMH; presque tout le monde est d’accord. Mario Tremblay annonce que les Nordiques ne battront pas les Canadiens une seule fois de la saison; c’est fort possible, d’autant plus que les deux équipes ne se rencontreront que quatre fois. Mais c’est Gilles Lupien, le grand défenseur (6 pieds et 6 pouces) du Tricolore, qui met le feu aux poudres en prédisant un massacre de 10-1 ou de 9-0 en faveur des Canadiens. Rien de moins!

Les propos de Lupien, repris par le journaliste Tom Lapointe dans le Soleil du 10 octobre, sont aussitôt épinglés dans le vestiaire des Nordiques. Le défenseur expliquera par la suite qu’il ne souhaitait pas personnellement que les Canadiens l’emportent par cette marque, mais le mal est fait et les commentaires fusent de partout. Dans le Soleil du 13 octobre, la vedette des Nordiques, Réal Cloutier, se fait sarcastique: «Les Canadiens vont nous écraser 10-1 si Gilles Lupien ne joue pas trop souvent». Le même jour, la Gazette ajoute avec une pointe d’humour: «Lupien n’a pas expliqué comment Québec allait marquer son but». L’autre vedette des Nordiques, Marc Tardif, se fait un devoir d’enguirlander Lupien sur la patinoire du Forum avant le match…

Si les joueurs et les entraîneurs des deux équipes sont nerveux avant cette première rencontre, la pression n’est pas la même pour tous. À Montréal, les hommes de Bernard Geoffrion n’ont rien à gagner d’une telle confrontation; tout le monde s’attend à une victoire facile des Glorieux et la défaite n’est même pas une option! À Québec, les joueurs et l’instructeur-chef Jacques Demers doivent d’abord et avant tout sauver la face; une défaite honteuse à leur deuxième match dans la LNH pourrait avoir des répercussions terribles sur l’ensemble de leur saison. Et puis, les partisans des Fleurdelisés ont tellement attendu ce premier match contre les Canadiens qu’il ne faudrait pas qu’il tourne au ridicule! Comme l’écrit avec justesse Réjean Tremblay dans le magazine Perspectives du 13 octobre: «Vous vouliez les Canadiens? Ce soir, vous les aurez!»

Le match est télédiffusé d’un océan à l’autre par la Société Radio-Canada et la Canadian Broadcasting Corporation, qui laisse tomber le match opposant les Rockies du Colorado aux Maple Leafs de Toronto. Des millions de Québécois sont devant leur petit écran et les rues de la métropole sont pratiquement désertes, au grand dam des chauffeurs de taxi qui n’auront pas beaucoup de travail ce soir-là. Il va sans dire que le Forum est rempli pour cet affrontement qui passera certainement à l’histoire. Parmi les 17 049 spectateurs, on retrouve plusieurs centaines de partisans des Nordiques qui ont tenu à faire le voyage pour encourager leurs favoris. Rarement verra-t-on autant de partisans des Nordiques au Forum…

Si vous croyez que les Nordiques ont été hués par les partisans des Canadiens à leur première présence sur la glace du Forum, vous avez tort: les Fleurdelisés ont droit à une formidable ovation debout lorsque le représentant de la brasserie Molson, Jacques Allard, profite de la remise de la Coupe Molson à Guy Lafleur pour souhaiter la bienvenue et bonne chance aux Nordiques. Debout sur la ligne bleue, quelques Fleurdelisés en ont les larmes aux yeux: toutes ces années de galère dans l’AMH auront finalement servi à quelque chose! Malheureusement, ce moment d’une rare émotion est complètement raté par la Société Radio-Canada, qui diffuse plutôt des entrevues préenregistrées avec le nouveau capitaine des Canadiens, Serge Savard, et Jacques Demers…

Pas moins de 18 joueurs francophones, soit 10 chez les Canadiens et 8 chez les Nordiques, sont en uniforme ce soir-là. On n’a jamais vu autant de francophones sur la glace du Forum, ni sur la galerie du presse! C’est d’ailleurs ce qui rend la rivalité Canadiens-Nordiques aussi importante: plus qu’une rivalité entre deux villes voisines, il s’agit d’une bataille entre tous les francophones du Québec. Comme le fait remarquer la Gazette le jour du match, «The best rivalries are always all in the family». C’est aussi ce qui explique pourquoi les joueurs et les médias anglophones, bien qu’intéressés par la rivalité, n’y prêteront jamais autant d’importance que les joueurs et les médias francophones.

Dès le début du match, les Nordiques viennent près d’ouvrir la marque mais à son premier match avec les Canadiens, le gardien Denis Herron résiste à l’assaut de la ligne 7-8-9 (les numéros portés par le capitaine Robbie Ftorek, Tardif et Cloutier). Contrairement à toutes les attentes, la défensive pour le moins douteuse des Nordiques tient le coup face à la puissante offensive des Canadiens. À son tout premier match dans la LNH, Michel Dion brille devant le filet des Fleurdelisés. Malheureusement pour l’ancien receveur de l’organisation des Expos de Montréal, Steve Shutt le déjoue alors qu’il ne reste qu’une minute à jouer à la première période, qui se termine par la marque de 1-0 en faveur du Tricolore.

Au début du deuxième vingt, un but refusé à Mario Tremblay soulève l’indignation des partisans des Canadiens. Peu de temps après, ils sont estomaqués lorsque Ftorek égale le pointage! Les partisans des Nordiques, eux, sont fous de joie et leurs «Go Nordiques Go!» résonnent partout dans l’amphithéâtre. Les Fleurdelisés tiennent la cadence et après deux périodes de jeu, le pointage est toujours de 1-1. À l’entracte, le présentateur de la Soirée du hockey, Lionel Duval note avec raison: «Il y a très peu de gens qui auraient parié que la marque serait égale 1-1 après 40 minutes de jeu ce soir!» Les Nordiques vont-ils répéter l’exploit de l’Union soviétique, qui avait battu le Canada sur cette même patinoire sept années plus tôt?

En début de troisième, les Nordiques ratent une chance en or de prendre les devants lorsque le tir raté de Cloutier est bloqué par Herron. L’attaque se poursuit des deux côtés et à mi-chemin en troisième, c’est Shutt qui réussit à briser l’égalité avec son deuxième but du match. La grosse machine des Canadiens entre finalement en marche et Doug Jarvis scelle l’issue de la rencontre quelques minutes plus tard, au grand soulagement des partisans du Tricolore. Ceux-ci sont nombreux à quitter le Forum avant la fin du match, tant et si bien que lors de la présentation des trois étoiles de la rencontre, Michel Dion (première étoile) reçoit une plus belle ovation que Steve Shutt (deuxième étoile)! Quant à Gerry Hart (troisième étoile), il est le seul Fleurdelisé hué par les partisans des Tricolore en raison de son style de jeu à la limite de la légalité…

Les grands titres des journaux sont unanimes: «Les Nordiques résistent avec brio au Canadien» (Dimanche-Matin) «Les Nordiques ont surpris» (Journal de Montréal) «Les Nordiques ont conquis le cœur des Montréalais» (Journal de Québec) «Le Canadien a gagné avec peine» (La Presse) «Un échec revalorisant face au Canadien» (Le Soleil) Dans le Dimanche-Matin, Bernard Geoffrion se confie: «En deuxième période, je ne m’en cache pas, j’ai eu peur. Les Nordiques m’ont grandement impressionné. Ils ont travaillé fort tout au long de la rencontre.» Dans le Journal de Montréal, un préposé à l’équipement du Canadien va plus loin: «S’il avait fallu que l’on perde cette partie, ça aurait été pire que la mort du pape!»

C’est toutefois un journal de langue anglaise, la Gazette, qui se démarque en se servant d’une expression qui, sauf erreur, n’a pas été utilisée par les principaux journaux francophones. Dans son article du 15 octobre intitulé «Canadiens win skirmish in the Battle of Quebec», le journaliste Glenn Cole multiplie les expressions militaires et les allusions à la bataille des Plaines d’Abraham. Il faut préciser qu’en anglais, l’expression «Battle of Quebec» peut signifier à la fois la bataille de Québec et la bataille du Québec. Quoi qu’il en soit, cette dernière expression sera reprise plus tard par la plupart des journalistes francophones pour désigner la rivalité Canadiens-Nordiques.

Bref, avec du jeu de grande qualité et une brillante performance des deux gardiens, ce premier affrontement entre les clubs de Montréal et de Québec a su répondre aux attentes élevées des amateurs de hockey de toute la province. Comme le fait remarquer René Lecavalier, descripteur à la Soirée du hockey, «C’est un match qui avait créé tellement d’intérêt qu’il n’aurait pas fallu rester sur notre appétit». Et comme si ce n’était pas assez, tout le monde se donne rendez-vous deux semaines plus tard à Québec pour le premier duel entre les deux équipes au Colisée...

Le deuxième match

Si les Montréalais étaient prêts pour le premier match Canadiens-Nordiques au Forum, les Québécois le sont encore davantage pour le premier affrontement entre les deux clubs au Colisée. Les 10 000 sièges de l’amphithéâtre (qui en comptera 15 000 à partir de la saison suivante) trouvent rapidement preneur et il en va de même pour les quelque 2 000 places debout. Le soir du 28 octobre, certains revendeurs demandent 150 dollars pour un billet dans les loges, soit dix fois le prix normal! Dans les circonstances, il n’est pas surprenant que la quasi-totalité des 11 908 spectateurs présents appuient les Nordiques. Ils se font d’ailleurs un plaisir de huer Gilles Lupien à chaque fois qu’il touche la rondelle durant la période d’échauffement…

Les deux équipes, qui ont joué à domicile la veille (victoire de Montréal contre Détroit et défaite de Québec contre Buffalo), ont encore une fois beaucoup de pression sur les épaules. Les Canadiens, qui trônent au sommet de la LNH avec une fiche de 6-1-1, sont condamnés à l’excellence et ne peuvent se permettre d’échapper ce match contre une équipe de milieu de classement. Quant aux Nordiques (2-4-1), qui ont réussi à arracher des victoires au Colorado et à Chicago, ils sont toujours à la recherche d’un premier gain à la maison et ils se doivent de jouer aussi bien qu’au Forum deux semaines plus tôt. Michel Dion est de retour devant la cage des Fleurdelisés alors que Bernard Geoffrion fait confiance au vétéran Michel Larocque.

Le match est précédé d’une cérémonie où est retiré le chandail numéro 3 du défenseur Jean-Claude Tremblay, ancien porte-couleurs du Tricolore et possiblement le meilleur joueur des Nordiques durant leurs sept saisons dans l’AMH. Bons joueurs, les partisans du Colisée imitent ceux du Forum et accordent une ovation debout aux joueurs des Canadiens à leur entrée sur la glace. Ils réservent cependant leurs meilleurs applaudissements aux joueurs des Nordiques et à «J.C. Superstar». Ils rient même de bon cœur lorsque le capitaine des Nordiques, Robbie Ftorek, oublie momentanément des parties de son discours en français! On entend toutefois des huées lorsque le capitaine des Canadiens, Serge Savard, remet un cadeau à son ancien coéquipier…

Même s’il a lieu un dimanche soir à Québec, le match est télédiffusé par la Soirée du hockey à Radio-Canada, en raison de l’entente qui a retiré aux Nordiques tous leurs droits de télédiffusion pour leurs cinq premières saisons dans la LNH. Comme tout le monde le sait, la Soirée du hockey est commanditée par la brasserie Molson, concurrente de la brasserie O’Keefe qui est aussi propriétaire des Nordiques. Aussi, la brasserie Molson a exigé que les publicités de la brasserie O’Keefe soient retirées des bandes du Colisée pour le match. O’Keefe se reprend en offrant un cadeau à Jean-Claude Tremblay durant la cérémonie en son honneur, mais la Soirée du hockey veille au grain et interrompt la télédiffusion de la cérémonie pour laisser la parole à Richard Garneau et à l’analyste Claude Mailhot!

On pourrait penser qu’il s’agit d’enfantillages entre deux brasseries concurrentes, mais il n’en est rien. L’arrivée des Nordiques dans la LNH, longtemps contestée par Molson, n’annonce rien de bon pour la brasserie montréalaise. Dans son édition du 27 octobre, le Soleil démontre que les Fleurdelisés sont de plus en plus populaires au Québec, particulièrement à l’est de la capitale, au centre de la province et au Saguenay-Lac-Saint-Jean. Autant de territoires où Molson risque de perdre de nombreux clients au profit de la brasserie O’Keefe, qui investit des sommes colossales pour mousser la popularité des Nordiques. Plus qu’une rivalité entre deux équipes, la bataille du Québec est aussi une «guerre de houblon».

La cérémonie enfin terminée, le match démarre en lion et malgré l’absence de Marc Tardif, les Nordiques se ruent en direction de la cage défendue par Michel Larocque. La foule se lève d’un bloc lorsque Richard Leduc permet aux Fleurdelisés de prendre les devants 1-0. La première période se termine sur cette marque et les partisans des Nordiques se mettent à rêver au «miracle». Ils sont toutefois réveillés en début de deuxième période par le but de Pierre Mondou, qui ramène les deux clubs à égalité. Les quelques applaudissements des partisans des Canadiens sont rapidement couverts par les huées des amateurs québécois, qui se permettent même de chahuter Guy Lafleur, leur idole d’antan avec les Remparts!

Montréal (Shutt) et Québec (Cloutier) s’échangent des buts en avantage numérique, puis le Canadien reprend l’avance 3-2 sur un but de Doug Risebrough. Mais les Nordiques n’ont pas dit leur dernier mot et égalisent la marque en fin de période sur un but de Dale Hoganson. L’intensité démontrée par les joueurs des deux équipes trouve son écho chez les spectateurs, qui appuient les Nordiques de toutes leurs forces. Au fur et à mesure que le match avance, les applaudissements pour le Canadien diminuent… et les huées augmentent! Quelques années plus tard, grâce au nouveau balcon, les partisans des Canadiens seront beaucoup plus nombreux au Colisée et la foule sera moins hostile à l’égard des Glorieux…

Durant le second entracte, Jacques Demers demande à ses hommes de jouer la troisième période de leur vie; plusieurs le feront. En désavantage numérique, Michel Dion y va d’un superbe arrêt de la jambière droite contre Shutt pour conserver l’égalité de 3-3. Peu de temps après, un tir du coin de la patinoire effectué par Michel Goulet échappe à Michel Larocque et Pierre Plante en profite pour marquer son premier but dans l’uniforme fleurdelisé, jetant la frénésie dans la foule. Galvanisés, les Nordiques continuent à bourdonner dans la zone des Canadiens et sur un jeu presque identique, Jamie Hislop donne les devants aux Nordiques 5-3. Au Colisée, ce n’est plus l’euphorie, c’est le délire! Des partisans sont debout sur leur siège et d’autres se mettent à danser…

La fête est cependant gâchée par Mario Tremblay, qui déjoue Michel Dion d’un long tir voilé à une minute de la fin du match pour porter la marque à 5-4. Les Canadiens ne s’avouent pas vaincus et retirent leur gardien en faveur d’un sixième attaquant. Quelques instants plus tard, John Smrke rate un filet désert alors qu’il est rattrapé au dernier moment par Guy Lafleur! La tension est à son comble lorsqu’une mise au jeu cruciale a lieu dans le territoire des Nordiques avec six secondes à faire. Les Canadiens reprennent possession du disque mais le tir de Bob Gainey, avec une seconde à jouer, touche le poteau à la gauche de Dion, qui lève les bras au ciel alors qu’une immense clameur soulève le toit du Colisée. Les Nordiques, équipe de l’expansion, ont réussi à vaincre les Canadiens, champions de la coupe Stanley!

À son premier match contre les Canadiens et malgré trois visites au cachot, Michel Goulet est choisi le joueur du match, exploit qu’il répètera à maintes reprises contre le Tricolore durant ses dix saisons avec les Nordiques. Robbie Ftorek et Michel Dion complètent le tableau des étoiles, toutes décernées à l’équipe locale par André Rousseau du Journal de Montréal. Près d’une heure après le match, plusieurs partisans des Nordiques sont encore au Colisée pour célébrer la victoire de leurs favoris. Dans les rues de Québec, les klaxons retentissent comme si l’équipe avait remporté la coupe Stanley. Il ne manque que la parade sur la Grande-Allée!

C’est encore une fois l’unanimité dans les principaux journaux de la province. «Le miracle s’est produit» (Journal de Montréal) «Incroyable… mais vrai!» (Journal de Québec) «Les Nordiques réussissent l’impossible» (La Presse) «Les Québécois survoltés défont le Canadien 5-4» (Le Soleil) «Nordiques put Canadiens in shock» (The Gazette) Ces deux derniers titres «électrisants» font référence à l’inauguration du Complexe hydroélectrique La Grande, qui a eu lieu la veille de la partie. Le Journal de Québec consacre 16 pages au match, plus que lorsque les Nordiques ont remporté le championnat de l’AMH en 1977! Quant à l’autre quotidien de la capitale, Le Soleil, il met de côté pour une fois la politique et consacre toute sa première page aux Nordiques…

On s’en doute, la défaite est plutôt mal acceptée à Montréal, où chaque revers de l’équipe prend les allures d’une catastrophe nationale. À tort ou à raison, on blâme Bernard Geoffrion pour ses stratégies et Michel Larocque pour les deux buts accordés en troisième période. C’est d’ailleurs Larocque qui y va de la déclaration la plus intéressante, reprise par le Journal de Montréal et le Journal de Québec: «La défaite est dure à avaler contre n’importe quelle équipe, mais je dois admettre qu’il s’agit d’une grosse défaite. Ça aurait pu leur prendre 20 parties pour nous battre ou deux ans. Maintenant, c’est fait. Nous avons perdu et nous serons débarrassés. Nous ne nous ferons plus casser la tête avec ça.» Est-il besoin de préciser que Larocque se trompait sur toute la ligne?

Et ce n’était qu’un début…

Le 14 février 1980, les Canadiens disposent facilement des Nordiques au Forum par la marque de 5-1. Le 6 avril, les deux équipes terminent la saison régulière avec un match nul de 4-4 au Colisée. Pour tout dire, ces deux rencontres suscitent beaucoup moins d’intérêt que les deux premiers duels entre les deux équipes. À Montréal, Bernard Geoffrion a cédé son poste à Claude Ruel et les amateurs comprennent que leur équipe ne remportera plus la coupe Stanley à chaque année. À Québec, les Nordiques décimés par les blessures glissent au classement et ne parviennent même pas à se qualifier pour les séries éliminatoires. La quasi-totalité des héros des deux premières confrontations Canadiens-Nordiques, les Demers, Dion, Hart, Fitchner, Hislop, Lacombe, Leduc, Legge, Plante et Smrke, ne seront même plus avec l’équipe à la fin de la saison suivante.

Ils seront toutefois remplacés par les Bergeron, Bouchard, Hunter, Marois, Moller, Paiement, Rochefort et les talentueux frères Stastny, qui donneront à l’équipe le visage dynamique que l’on sait. À Montréal, les Carbonneau, Naslund et Nilan viendront rajeunir le Tricolore, en attendant les Corson, Chelios, Lemieux, Richer et Roy. L’ajout de ces nouveaux joueurs, combiné à l’arrivée en 1981-1982 du nouveau calendrier de la LNH avec ses huit rencontres par saison entre les deux clubs et des affrontements fréquents en séries éliminatoires, permettront à la bataille du Québec d’atteindre de nouveaux sommets… ou de descendre plus bas, selon le point de vue!

Peu de gens auront prévu l’importance qu’allait prendre cette rivalité au fil des ans. Le jour du premier match Canadiens-Nordiques, la Presse écrivait: «La querelle qui oppose les deux villes depuis toujours va enfin s’exprimer concrètement, sur le terrain. Et paradoxalement, il se pourrait bien que cet affrontement marque la fin de cette vieille chicane, du moins son évolution vers une rivalité plus saine.» Quelques mois plus tard, Réjean Tremblay écrivait dans le magazine des Nordiques: «Il n’y aura plus jamais la même excitation, la même tension qui marquaient ces premières parties entre le Canadien et leurs cousins de la Capitale».

C’est un Américain, Robbie Ftorek, qui a vu le plus juste en confiant à la Gazette le 13 octobre 1979: «Le jour où l’AMH et la LNH ont fusionné, la rivalité Québec-Montréal est immédiatement devenue la plus importante de tous les sports nord-américains. Plus importante que la rivalité Yankees-Red Sox. Plus importante que n’importe quoi ici et peut-être dans le monde, à l’exception de certaines rivalités du soccer européen.» Le lendemain, dans les pages du Dimanche-Matin, le légendaire Jean Béliveau y allait de cette remarque: «Il ne faudrait pas que cette rivalité devienne une guerre disgracieuse». Avait-il prévu, cinq années à l’avance, la bagarre du Vendredi saint? Mais cela est une autre histoire…

Bibliographie
Dimanche-Matin, 14 et 28 octobre 1979
Gazette (The), 13 au 30 octobre 1979
Hockey Québec, saisons 1979-1980 et 1980-1981
Journal de Montréal (Le), 13 au 30 octobre 1979
Journal de Québec (Le), 13 au 30 octobre 1979
Perspectives, 13 octobre 1979
Presse (La), 12 au 30 octobre 1979
Soleil (Le), 10 au 30 octobre 1979
Archives de Radio-Canada

Voir aussi
Souvenir: La bataille du Québec
Sommaire: Premier match Canadiens-Nordiques au Forum
Sommaire: Premier match Canadiens-Nordiques au Colisée


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